L’impact de la contrefaçon numérique sur les jeux vidéo
Le jeu vidéo, de par son contenu numérique, a toujours été particulièrement exposé à la contrefaçon. L’avènement d’Internet et la multiplication des outils de contournement des mesures de protection sur les supports CD/DVD Rom, n’ont fait qu’amplifier un phénomène existant. Comment les jeux vidéo sont-ils contrefaits et quelles en sont les sanctions juridiques ? Le marché des jeux vidéo souffre-t-il de la contrefaçon numérique ? Quelles solutions l’industrie du jeu vidéo a-t-elle mises en place pour lutter contre ce phénomène ?
COMMENT LES JEUX-VIDÉO SONT-ILS TOUCHÉS PAR LA CONTREFAÇON NUMÉRIQUE ?
Les principaux modes opératoires pour télécharger des jeux vidéo contrefaits
Outre la diffusion de copies illégales sous forme de CD-ROM et DVD, le jeu vidéo est également la victime des contrefaçons numériques qui s’échangent en ligne entre les internautes. Tout comme pour les fichiers de musique ou de films, la contrefaçon numérique de jeux vidéo consiste à réaliser une copie numérique du jeu afin de la mettre à disposition des internautes, et ce, de plusieurs manières différentes :
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les logiciels « peer to peer » de type Emule, BitTorrent… ;
Il est important de rappeler que les téléchargements de fichiers contrefaits de jeux vidéo peuvent également être anonymes et sécurisés, comme pour les musiques ou les films, grâce aux différentes méthodes de cryptage et d’anonymisation comme les « tunnels », les « proxys »…
Les différents formats de copies contrefaites
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Le format ISO dit « image ISO ». Il s’agit d’un format de sauvegarde qui permet de copier une partition entière ou un ensemble de répertoires en une simple « image » que l’on peut stocker sur un disque dur ou graver. Cette méthode de sauvegarde permet de s’affranchir d’un format propriétaire. Le format propriétaire étant un format de données dont les spécifications sont contrôlées par une entité privée, donc non libre de droit. Appliqué à un jeu vidéo, le format ISO permet de copier le jeu vidéo de façon simple et efficace. C’est la raison pour laquelle le format ISO est le format le plus couramment utilisé pour la contrefaçon numérique des jeux vidéo.
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Les formats ROM. Ces types de format sont l’équivalent des formats ISO, mais adaptés pour les consoles de jeux.
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Les format MDF/MDS. Ce sont de nouveaux formats d’image, encore peu utilisés.
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Les formats RAR, Zip, Tar, ACE…. Ce sont des formats de compression les plus courants sur internet. Lorsque les fichiers contrefaits ne sont pas en image ISO, ils sont généralement compressés directement dans ces formats en ajoutant le cas échéant, les patches ou autres cracks, permettant notamment de contourner les mesures de protections.
Les jeux vidéo sont en général assez lourds. Il est désormais très fréquent de voir des jeux vidéo de plusieurs gigas. Toutefois, ce poids qui aurait pu constituer un frein au téléchargement illégal a été très largement contourné par les vitesses de connexion de plus en plus élevées et la réduction en amont de la taille des fichiers par compression.
Les techniques de contrefaçon des jeux vidéo
Comme nous l’avons indiqué précédemment, les contrefacteurs de jeux vidéo ont de multiples possibilités pour échanger des jeux vidéo contrefaits. Toutefois, faire une copie contrefaite et la mettre à disposition des autres internautes ne suffit pas. En effet, les internautes contrefacteurs ont mis en place de nombreuses parades aux protections des jeux vidéo, certaines matérielles et d’autres numériques :
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les DS Linkers : ce sont des cartouches pouvant stocker et lancer des dizaines de jeux contrefaits ou des jeux créés par des particuliers sur les Nintendo DS grâce à leur carte micro SD. Cette cartouche contourne les mesures techniques de protection prévues par Nintendo et permet à l’utilisateur de se connecter à Internet afin d’y télécharger des jeux bien souvent contrefaits. D’ailleurs, Nintendo a récemment déposé une plainte, le 15 décembre 2008, contre des magasins, grossistes et sites de e-commerce pour la détention, la distribution et la commercialisation de DS Linkers, constituant un manque à gagner certain pour le géant du jeu vidéo japonais ;
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les cracks : ce sont des programmes conçus pour modifier le comportement d’un autre logiciel. Leur objectif est d’utiliser le jeu vidéo (ou autre logiciel) sans avoir besoin qu’un DVD ou CD du jeu vidéo soit inséré dans le lecteur (crack no-CD/patch no-CD), ou bien d’enlever une protection ou une limitation d’un jeu vidéo. Ces cracks sont principalement destinés pour utiliser des logiciels ou jeux vidéo payants comme si la licence avait bien été acquittée. Les cracks sont illégaux et peuvent également contenir des virus, des spywares, des chevaux de troie… ;
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les keygens (keygenerator) : ce sont des programmes générant des numéros de séries afin lancer ou installer un jeu vidéo. Tout comme l’utilisation d’un sérial (obtenu illégalement sans s’affranchir du prix de la licence), l’usage des Keygens est illégal et peut contenir des virus, spywares, chevaux de troie…
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l’émulateur : il s’agit d’un petit logiciel permettant de recréer une plateforme de jeu virtuelle, ou borne arcade sur un ordinateur. Ainsi, un émulateur installé sur un ordinateur permettra de simuler l’environnement d’une console de jeu donnée ou d’un système d’exploitation pour pouvoir y exécuter des jeux contrefaits.
LE JEU VIDÉO EST-IL PROTÉGÉ PAR LE DROIT D’AUTEUR ?
Longtemps, la jurisprudence s’est posée la question de savoir si le jeu vidéo devait bénéficier ou non de la protection du droit d’auteur, ne le considérant pas alors comme une œuvre de l’esprit. En effet, le 20 février 1985, dans l’affaire des jeux vidéo Defender et Burnin’Rubber, la Cour d’appel de Paris rendait deux jugements dans lesquels elle ne leur reconnaissait pas la qualité d’œuvres de l’esprit, au motif que « la caractéristique d’une œuvre artistique pénalement protégée est son intangibilité interdisant à l’interprète ou à l’utilisateur de la modifier ou d’intervenir dans l’ordre de ses divers éléments. ». En effet, le principe de ce jugement consistait à considérer que le jeu vidéo ne pouvait être une œuvre de l’esprit dans la mesure où le joueur, en intervenant dans les éléments du jeu, contribuait à la création du jeu vidéo et que par conséquent l’auteur n’était pas considéré comme créateur de l’œuvre. Toutefois, le 7 mars 1986, deux arrêts d’Assemblée plénière de la Cour de Cassation ont reconnu le jeu vidéo comme une œuvre de l’esprit, lui attribuant dès lors toutes les protections prévues par les droits d’auteur et droits voisins.
LE CADRE JURIDIQUE DES JEUX VIDÉO
Le jeu vidéo bénéficie de la protection accordée par le droit d’auteur et sa reproduction ou représentation sans autorisation de l’auteur sont sanctionnées au pénal pour délit de contrefaçon, jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amendes, au sens des articles L 335-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle. Au civil, les ayant droit peuvent également demander des dommages et intérêts sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil. Ces peines peuvent s’appliquer aussi bien pour la personne qui réalise la copie illicite, que pour la personne qui met à disposition le fichier contrefait ou qui le télécharge. Toutefois, l’exception pour copie privée est un argument difficilement recevable devant une juridiction pour justifier une copie de jeu vidéo. En effet, la jurisprudence a estimé, lors de l’affaire « Mulholland Drive » (Cour d’Appel de Paris, 4 avril 2007), que l’exception de copie privée ne pouvait être invoquée au soutien d’une action formée à titre principal comme constitutive d’un droit. Elle ne peut être qu’opposée pour se défendre à une action.
Quant à l’hébergeur de la plateforme sur laquelle est mis à disposition le fichier contrefait, il bénéficie d’un régime d’irresponsabilité en l’absence d’obligation générale de surveillance, en vertu de l’article 6 de la LCEN. Aussi, pour prévenir l’hébergeur de la présence d’un fichier contrefait, une procédure de notification a été mise en place, laquelle ne peut être ignorée sous peine d’être reconnu responsable selon le juge. En effet, le législateur attribue à l’hébergeur une responsabilité lorsqu’il ne fait pas supprimer le fichier présumé contrefait alors qu’il a connaissance de son caractère manifestement illicite, selon l’article 6 de la LCEN. Dans ce cas, l’hébergeur est alors coupable de contrefaçon voire de recel-contrefaçon définit à l’article 321-1 du code pénal (jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 375000 euros d’amende). Concernant la mise à disposition de liens permettant de récupérer des fichiers contrefaits, un arrêt de la Cour d’Appel d’Aix en Provence du 10 mars 2004 a estimé que les liens hypertextes constituaient une complicité de contrefaçon par fourniture de moyens au mépris des droits d’auteur : « Attendu que les juges ont également relevé que, si A. Emmanuel ne proposait pas aux internautes le téléchargement direct de logiciels de jeux contrefaits, il faisait néanmoins apparaître sur son site des liens renvoyant à d’autres sites proposant le téléchargement illégal de tels jeux ; qu’ils ont justement retenu que cette mise à disposition de liens hypertextes devait s’analyser en une complicité de contrefaçon par fourniture de moyens ». La complicité de contrefaçon est sanctionnée en application de l’article L121-7 du Code pénal, selon les peines prévues à l’article L335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle ainsi que d’éventuels dommages et intérêts au civil.
Enfin, le contournement des mesures techniques de protection des jeux vidéo protégées par la loi DADVSI du 1er août 2006, est sanctionné au sens des articles L331-5 et suivants et R335-3 et suivants du code de la propriété intellectuelle, prévoyant trois sanctions distinctes allant de 750 euros d’amende jusqu’à 6 mois d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende.
MARS 2005 : UNE DATE CLÉ POUR L’INDUSTRIE DU JEU VIDÉO EN FRANCE
CoPeerRight Agency a été la première société en France, à mener légalement des actions pour lutter contre la contrefaçon numérique de jeux vidéo sur les réseaux P2P. En effet, en mars 2005, le SELL (Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs), est devenu le premier organisme professionnel français à obtenir une autorisation de la CNIL pour mettre en œuvre un traitement automatisé de détection des infractions au code de la propriété intellectuelle, en utilisant les technologies et services de CoPeerRight Agency.
La CNIL avait à l’époque retenu un dispositif destiné à :
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adresser des messages de prévention aux internautes téléchargeant et mettant à disposition des logiciels copiés illégalement sur les réseaux « peer to peer » ;
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relever, dans des cas limités, l’adresse IP d’internautes mettant à disposition des logiciels de loisirs copiés illégalement sur les réseaux « peer to peer ».
C’était la première fois qu’une telle autorisation était donnée en France par la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés.
LE MARCHÉ DES JEUX VIDÉO : PREMIER DANS LE SECTEUR DES BIENS CULTURELS
Bien que le jeu vidéo soit fortement impacté par la contrefaçon numérique, il n’en demeure pas moins que ce phénomène ne semble pas avoir de lourdes conséquences sur les ventes. En effet, le marché du jeu vidéo est même le secteur qui se porte le mieux malgré la crise économique récente et la crise de l’industrie culturelle de manière générale qui affecte surtout les ventes physiques de musique et de DVD. Aussi, Jean-Claude Larue, le délégué général du SELL (Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisir), confiait au journal Le Point le 20 janvier 2009 que l’année 2008 « fut une excellente année. Le chiffre d’affaires total a atteint 3,4 milliards d’euros. Soit une hausse de 16 % par rapport à 2007 ». En effet, en 2007, le chiffre d’affaires du jeu vidéo en France totalisait 2,96 milliards d’euros, soit une différence de près de 500 millions d’euros. Aussi a-t-il ajouté que le jeu vidéo était en première position dans le classement des biens culturels, devant le cinéma avec 1 milliards d’euros et la musique représentant près 600 millions d’euros. Selon l’Agence française pour le jeu vidéo (AFJV), les français seraient 49 % à jouer aux jeux vidéo en 2008, avec une préférence pour les jeux en groupe (famille, amis), les jeux avec accessoire et les jeux mobiles.
A l’échelle internationale, Idate (Institut de l’Audiovisuel et des Télécommunications en Europe), réalisant des études de marché dans le secteur des Télécoms, de l’Internet et des médias, annonçait dans une étude publiée en Juin 2009 que les ventes de jeux et de consoles totalisaient un chiffre d’affaires de plus de 50 milliards d’euros en 2008, un record selon l’Institut. Le marché mondial du jeu vidéo a donc été multiplié par 8 par rapport à 2000, où le chiffre d’affaire de l’industrie du jeu vidéo était estimé à 6 milliards d’euros. Déjà en 2001, le marché avait doublé au regard de l’année précédente, avec un chiffre d’affaires totalisant 11 milliards d’euros. Mais c’est surtout depuis 2005 que le jeu vidéo est en pleine expansion avec près de 25 milliards d’euros, pour passer en 2006 à 34 milliards et en 2007 à plus de 40 milliards d’euros. Le jeu vidéo est donc un marché en constante progression, grimpant d’années en années, comme le montre le graphique ci-dessous, comptabilisant les recettes liées à la vente de jeux sur PC, sur consoles de salon ainsi que sur consoles portables et les recettes de la vente de consoles de salon et de consoles portables :
Sources : 2000 ; 2001 ; 2002 ; 2003 à 2006 ; 2007 ; 2008.
Toutefois, il ne faut pas pour autant sous-estimer l’ampleur de la contrefaçon numérique sur les jeux vidéo qui représente parfois des millions de téléchargements pour les gros succès. En effet, le jeu vidéo est fortement touché par la contrefaçon numérique de masse.
En France, selon une étude de TNS-Sofres publiée en mars 2009, il s’avère que 4% des français admettent avoir téléchargé illégalement un jeu vidéo, dont 21% sont des téléchargements effectués par les jeunes de 18-24 ans. Ces chiffres restent néanmoins faibles par rapport aux téléchargements illégaux de musique, qui concernent 18% des français dont 57% sont des téléchargements effectués par des jeunes de 18-24 ans et enfin les téléchargements illégaux de films, qui concernent 13% des français sont des téléchargements effectués par les jeunes de 18-24 ans à 42%.
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Si l’industrie du jeu vidéo parvient à se porter relativement bien au regard de l’ampleur considérable de la contrefaçon numérique et physique, il n’en demeure pas moins qu’il faut continuer à développer des solutions pour freiner ce phénomène. Pour certains, la baisse de la contrefaçon numérique passe nécessairement par la baisse des prix pratiqués par l’industrie du jeu vidéo. En effet, David Perry, créateur de jeux vidéo, déclarait en avril 2009 sur le site gamepro.fr que les éditeurs de jeux vidéo n’adoptaient pas la bonne politique tarifaire pour lutter contre la contrefaçon numérique : « Le problème est pris à l’envers. Puisque les jeux sont piratés, et se vendent moins, les éditeurs augmentent les prix pour faire du chiffre. Or il faudrait faire l’inverse, baisser les prix pour encourager les joueurs à acquérir légalement leurs jeux ». Ainsi, pour David Perry, il ne fait aucun doute que baisser les prix encouragerait l’achat des jeux vidéo, aussi conclut-il son interview en disant que « C’est en faisant de bons jeux, et en les proposant au bon prix, que les gens arrêteront d’être tentés par le piratage ».
Pour d’autres, il est nécessaire de supprimer les mesures techniques de protection, protégées juridiquement depuis la loi DADVSI de 2006, afin d’inciter les consommateurs à acheter légalement des jeux vidéo, à cause des problèmes d’interopérabilité qu’elles peuvent créer. Mais la solution sans doute la plus efficace pour limiter l’ampleur de la contrefaçon numérique reste l’amélioration de l’offre légale. Ce processus est déjà enclenché et nombre de nouvelles offres plus attractives, plus variées et plus adaptées aux attentes des consommateurs se développent. Aussi, ne manquez pas le prochain volet du dossier sur les jeux vidéo concernant l’amélioration de l’offre légale, à lire prochainement.
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