Les péripéties de la loi « Création et Internet » partie 2
Un nouveau texte complémentaire baptisé « projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet ».
Après la censure partielle de la loi « Création et Internet » instaurant la HADOPI par le Conseil Constitutionnel, le 10 juin 2009, le gouvernement a élaboré une nouvelle loi visant à modifier les points qui ont été soumis à la censure des sages. En effet, seul le volet pédagogique portant sur les avertissements ayant été validé, le volet répressif instaurant les sanctions a quant à lui été complètement remanié. Quels sont les principaux changements apportés par le projet de loi « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet » ?
UN NOUVEAU PORTE-PAROLE POUR LE PROJET DE LOI « HADOPI 2 »
M. Frédéric Mitterrand à la tête du ministère de la culture
En plus de la modification conséquente du volet répressif de la loi « Création et Internet », un nouveau changement a fait son apparition au sein même du ministère de la culture. En effet, depuis le remaniement récent du gouvernement le soir du 23 juin 2009, Madame Christine Albanel n’est plus ministre de la culture. Le choix de la nomination de son remplaçant par le Président de la République, Monsieur Nicolas Sarkozy, s’est porté sur Frédéric Mitterrand, qui s’est donc retiré de sa fonction de Directeur de la Villa Médicis en Italie. Le nouveau ministre de la culture n’a pas manqué de saluer le travail accompli de Madame Christine Albanel et de rappeler la difficulté de son nouveau poste : « je viens après quelqu’un qui n’a pas démérité. C’est un poste difficile et je mesure la difficulté de certains dossiers, tels que la loi sur le piratage […] ». La passation de pouvoirs s’est déroulée au ministère de la culture le lendemain matin, le 24 juin, en présence de la ministre sortante. Cependant, Frédéric Mitterrand n’a fait aucun commentaire au sujet de la loi « Création et Internet », rétorquant aux journalistes qui l’interrogeaient : « Je ne dis rien sur ces dossiers-là car je ne les connais pas encore suffisamment bien, même si je pense que je les ai suivis avec attention depuis un certain temps. […] Ce serait d’une très grande maladresse d’arriver comme Tarzan et de dire qu’on va tout résoudre tout de suite ». En tout état de cause, Monsieur Frédéric Mitterrand a accueilli à bras ouverts cette nouvelle fonction que lui a confié le Président de la République, une tâche qu’il qualifie d’ « exaltante et d’un honneur ».
Quant à Madame Christine Albanel, c’est avec émotion qu’elle a cédé sa place au nouveau ministre de la culture, visiblement ravie du choix de son successeur : « Je me réjouis que Frédéric Mitterrand me succède, il est vraiment un homme de culture ». L’ancienne ministre de la culture aura porté une loi difficile et controversée, avec toute la persévérance et la détermination liée à ses convictions, ses valeurs et son engagement certain pour la protection des droits d’auteur. Après tant de péripéties et de rebondissements autour de la loi « Création et Internet », elle a annoncé avec un ton un tant soit peu nostalgique : « je quitte avec émotion ce ministère que j’ai servi durant de longues années. C’est un ministère que j’aime, que je respecte dans ses missions et ses ambitions. Ça a été un grand bonheur et un honneur d’avoir ces responsabilités pendant deux ans ».
Le ministère de la justice prend les rennes du projet de loi
En toute logique, on pouvait s’attendre à ce que le nouveau ministre de la culture hérite de l’épineuse et controversée loi contre la contrefaçon numérique, complétée par un nouveau projet de loi de nature pénale. Mais c’est finalement à la Garde des Sceaux du ministère de la justice, Madame Michèle Alliot-Marie, que le projet de loi « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique » a été confié. On aurait pu supposer que l’arrivée récente de Frédéric Mitterrand avait motivé cette décision, lui-même ayant confié qu’il ne connaissait pas suffisamment le dossier. Mais il n’en est rien. En effet, s’agissant d’un « projet de loi qui prévoit la mise en œuvre d’une politique pénale », le porte-parole du gouvernement Monsieur Luc Chatel a indiqué que ce projet de loi relevait du « champ de compétence du garde des Sceaux ». Toutefois, Monsieur Frédéric Mitterrand en assurera quand même le suivi.
LA NOUVELLE LOI EXAMINÉE AU CONSEIL DES MINISTRES
Le projet de loi « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet » a été porté au Conseil des Ministres le 24 juin 2009 au nom du premier ministre Monsieur François Fillon et par la nouvelle ministre de la justice Madame Michèle Alliot-Marie.
Un projet de loi court et sommaire
Lors du Conseil des Ministres, Madame Michèle Alliot-Marie a rappelé dans l’exposé des motifs précédant la présentation du projet de loi, que dans sa décision n°2009-580 DC du 10 juin 2009, le Conseil Constitutionnel avait considéré à l’égard de la coupure de la connexion à Internet, que « le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoir à une autorité administrative ». C’est pourquoi la garde des Sceaux a indiqué au Conseil des ministres, que « Le présent projet de loi [tirait] les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel ». En définitive, ce sont seulement cinq articles qui constituent le court projet de loi « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet ».
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Article 1er : il prévoit de conférer aux membres de la commission de protection des droits de la HADOPI et à certains agents assermentés, des « prérogatives de police judiciaire leur permettant de constater les infractions et de recueillir les observations des personnes mises en cause ». Les procès-verbaux ainsi rédigés par ces agents feront « foi jusqu’à preuve contraire » lors de la procédure judiciaire.
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Article 2 : il met en place la possibilité d’ « un recours à la procédure du juge unique et aux ordonnances pénales » sans audience, dans le cadre du délit de contrefaçon. Quant aux conditions d’utilisation de ces ordonnances pénales, « l’action des parquets sera guidée par une circulaire du garde des sceaux ».
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Article 3 : il porte tout particulièrement sur la sanction complémentaire aux peines prévues par le délit de contrefaçon, à savoir la coupure de l’accès à Internet. En effet, l’article 3 introduit au code de la propriété intellectuelle un nouvel article L. 335-7 qui confie au juge la possibilité de prononcer une suspension de l’accès à Internet d’une durée maximale d’un an à l’encontre d’auteurs du délit de contrefaçon, prévu aux articles L.335-2, L.335-3 et L.335-4, lorsque ce délit a été « commis au moyen d’un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques ». L’article 3 précise également que la suspension de l’accès à Internet peut être prononcée « à l’encontre des personnes reconnues coupables des contraventions de la cinquième classe » et durer dans ce cas, au maximum un mois, si le règlement le prévoit. Cette suspension est « assortie de l’interdiction de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur un service de même nature auprès de tout opérateur » et elle prévoit que les frais de résiliation de l’abonnement à Internet par son propriétaire pendant la durée de cette sanction seront à sa charge. Par ailleurs, il est précisé que la suspension de la connexion à Internet ne pourra être décidée « que dans le respect du principe de proportionnalité rappelé par l’article 132-24 du code pénal, qui précise que pour prononcer une peine le juge tient comte des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ». L’article 3 mentionne également le fait que cette sanction complémentaire ne s’appliquera pas aux services de télévision et de téléphonie dans le cadre d’offres Triple Play. Enfin, l’abonné dont la connexion à Internet aura été coupée continuera de verser son abonnement mensuel au FAI, lequel écopera d’une amende délictuelle de 3750 euros s’il ne respecte la décision judiciaire.
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Article 4 : il « vise à sanctionner la violation, par l’abonné condamné, de l’interdiction de souscrire un nouvel abonnement pendant la durée de suspension qui lui est imposée ». Le non-respect de l’interdiction de souscrire à un abonnement pendant la durée de la suspension est réprimé par l’article 434-41 du code pénal, qui prévoit des peines allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.
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Article 5 : il définit l’applicabilité de la présente loi à l’ensemble du territoire de la République, excepté la Polynésie française. Cette délimitation du territoire est simplement dûe au fait que dans cette zone géographique éloignée des continents et des « câbles » fournissant l’Internet, les Polynésiens sont contraints d’accéder à Internet aux Etats-Unis, de surcroît en passant par le satellite.
Dans son compte-rendu, le Conseil des ministres a considéré que le projet de loi « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet » prévoyait un « dispositif judiciaire adapté pour sanctionner les auteurs de téléchargements illicites ». Il a par ailleurs constaté que le projet de loi permettait de « recourir à des procédures simplifiées » dont le traitement sera rapide, efficace, « assuré par la voie d’ordonnances pénales et devant le tribunal correctionnel siégeant à juge unique ». Et le Conseil des ministres de conclure dans le compte-rendu que le projet de loi avait « tiré toutes les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel en complétant l’action préventive de l’HADOPI par un dispositif pénal dissuasif et adapté ».
Un projet de loi promis à d’importantes nouveautés
Ce projet de loi venant compléter la loi « Création et Internet », permet donc au gouvernement de se conformer à la décision du Conseil Constitutionnel, en réattribuant le volet répressif à l’autorité judiciaire. Ce qu’il est important de retenir dans ce nouveau texte, c’est que le défaut de sécurisation de la ligne Internet a, pour le moment du moins, disparu. En effet, la suspension de la connexion à Internet est dans ce projet de loi consécutive au délit de contrefaçon, alors que la loi « Création et Internet » l’attribuait au manquement de la sécurisation de la ligne Internet. Mais ce manquement n’a semble-t-il pas complètement été écarté de la loi puisqu’il pourrait être réintroduit par un décret, pouvant être celui annoncé dans l’article 3 du projet de loi quand il est dit que : « lorsque le règlement le prévoit, la peine complémentaire définie au présent article peut être prononcée à l’encontre des personnes reconnues coupables des contraventions de la cinquième classe prévues dans le présent code ». Le défaut de sécurisation de la ligne serait alors puni d’une amende pouvant aller jusqu’à 1500 euros, rentrant dans le cadre d’une contravention de cinquième catégorie, par le biais de laquelle le gouvernement remettrait au goût du jour la présomption de culpabilité. En effet, si le Conseil Constitutionnel avait censuré le principe de présomption de culpabilité dans la loi « Création et Internet », il l’avait en revanche autorisé « à titre exceptionnel » dans le cadre d’une contravention.
Il est également essentiel de relever dans l’article 3 que la suspension de la connexion à Internet s’applique lorsque le délit de contrefaçon est commis « au moyen d’un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques ». Or, l’expression « services de communication électroniques » comprenant la messagerie électronique, à savoir les emails, il semble que ce nouveau projet de loi permette de sanctionner un internaute s’il échange via des emails des fichiers présumés contrefaits. Cette possibilité avait pourtant été supprimée de la loi « Création et Internet » par les députés lors du deuxième examen de la loi, afin de ne pas sous-entendre une surveillance généralisée par la HADOPI des correspondances électroniques entre les internautes, ce qui est illégal dans le droit. La réintroduction de cette disposition signifie-t-elle alors une surveillance des courriers électroniques par les membres de la commission de protection des droits ?
Pour répondre à l’objectif initial de la HADOPI qui, dans la première loi, permettait de prononcer des sanctions rapides et simples, le nouveau projet de loi prévoit l’instauration d’une ordonnance pénale prononcée par un juge unique, permettant de faciliter et d’accélérer les procédures. Par ailleurs, un décret pourrait voir le jour, celui-ci visant à créer 109 postes dont 26 magistrats spécialement pour traiter ce type de contentieux. Mais selon La Tribune, le rapport accompagnant le nouveau projet de loi prévoirait « seulement » 50 000 suspensions de connexion à Internet par an. Un chiffre en nette baisse par rapport aux 1 000 suspensions quotidiennes de la HADOPI qui avaient été annoncées pour la loi « Création et Internet », avant qu’elle ne soit partiellement censurée par le Conseil Constitutionnel.
En tout état de cause, le véritable point commun aux deux lois, « Création et Internet » et « loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique », reste le fait que la coupure de la connexion à Internet est une sanction complémentaire et peut ainsi s’ajouter aux sanctions initialement prévues par le délit de contrefaçon au pénal (jusqu’à 300 000 euros d’amende et 3 ans de prison) et par des dommages-intérêts au civil.
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Le nouveau projet de loi, en l’état actuel des choses, pourrait donc prendre sensiblement une autre dimension, dès lors que les décrets d’application seront promulgués, à la condition bien évidemment qu’il soit adopté par le Sénat et les députés cet été. En effet, le projet de loi, porté par la ministre de la justice, Madame Michèle Alliot-Marie, devrait être examiné par le Sénat les 8 et 9 juillet 2009 et par l’Assemblée Nationale probablement à partir du 20 juillet 2009 en procédure accélérée. Le sénateur Monsieur Michel Thiollière a été de nouveau nommé rapporteur au Sénat comme pour l’examen de la loi « Création et Internet » et à l’Assemblée Nationale, il semblerait que ce soit Franck Riester, député UMP qui ait été désigné rapporteur, après avoir déjà été rapporteur tout au long des débats pour la loi « Création et Internet ». Quant à Olivier Henrard, le conseiller juridique de Madame Christine Albanel lorsqu’elle était ministre de la culture, il devrait occuper la fonction de Directeur adjoint au sein du cabinet du nouveau ministre de la culture, Monsieur Frédéric Mitterrand et participera dès lors à la rédaction des décrets d’application de la nouvelle loi, si elle est adoptée. Bien que ce projet de loi soulève quelques interrogations, force est de constater qu’il était nécessaire et même indispensable de compléter la HADOPI par un volet répressif afin de donner une véritable portée à la lutte contre la contrefaçon numérique. En effet, le volet pédagogique seul de la Haute Autorité n’aurait certainement pas été suffisament efficace pour dissuader les internautes tentés par le téléchargement illégal.
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