La Réponse Graduée au service des pirates : partie 4 « Les newsgroup »
Souvent attaqués mais jamais réellement inquiétés, les forums de discussions et d’échanges de données reviennent en force avec des offres commerciales de plus en plus attractives pour les internautes contrefacteurs du monde entier…
DEFINITION & HISTORIQUE
Les newsgroups sont des forums de discussion hébergés sur un réseau appelé Usenet (pour « UNIX User Network »). Crée en 1979 (soit une dizaine d’années avant Internet) par un groupe d’étudiants de Caroline du Nord, il leur sert à l’origine à échanger avec leurs professeurs et quelques férus de technologie. Son apparence se veut résolument austère, seul le texte (encodé en ASCII) étant supporté par le serveur: il consiste en une série de réponses (« posts ») à des sujets thématiques (« groupes ») présentés en arborescence. Il préfigure dans son mode de fonctionnement les forums tels que nous les connaissons aujourd’hui, ainsi que le principe d’échanges de fichiers sur le réseau entre utilisateurs. Usenet et les newsgroups, au vu de leur ancienneté, font figure d’applications historiques qui toutefois subsistent encore, notamment grâce à l’utilisation détournée qu’en ont fait les usagers depuis maintenant plusieurs années.
Si historiquement on l’a vu Usenet a été développé pour l’échange de messages au format texte, il n’aura pas fallu longtemps avant que le réseau ne se développe grâce aux newsgroups dits « binaires« , qui permettent l’échange de fichiers numériques à grande vitesse. Les fichiers sont encodés en ASCII, ce qui permet leur hébergement sur le réseau, l’usager souhaitant les récupérer devant opérer l’opération inverse par le biais de logiciels dédiés.
Si, comme nous le verrons dans ce dossier, les réseaux sociaux, blogs et autres forums ont eu raison de l’aspect communautaire des newsgroups et de leur attractivité en tant que tel, ceux-ci connaissent un regain d’activité grâce au piratage, et demeurent un moyen efficace de contourner le champ d’application de la Réponse graduée.
ETAT DES LIEUX
Lorsqu’il l’envoie un article sur un serveur Usenet, celui-ci le propage à tous les autres serveurs avec lesquels il a conclu des accords d’échange d’articles (feeding). Chaque serveur conserve une copie de cet article, et peut ensuite le mettre à disposition des utilisateurs y ayant accès. Il faut noter que chaque serveur possède son propre temps de « rétention« , autrement dit le temps qui s’écoule entre l’arrivée d’un message et sa suppression.
L’usager qui souhaite récupérer ce fichier doit au préalable se munir d’un lecteur de news (Grabit, Newsbin, ou encore Windows live mail et Thunderbird, qui intègrent un lecteur dans leurs services), lequel va se connecter à un serveur auquel il aura souscrit et qui va décoder et télécharger la liste des groupes et des articles qu’il contient. Ceux-ci sont classés par thématiques, les articles contenant des fichiers binaires étant précédés par « alt.binaries« . L’usager peut s’abonner aux groupes qui l’intéressent, et se tenir ainsi informés en temps réel des nouveautés présentes sur le serveur. Il existe également des moteurs de recherche spécialisés (Newzleech, Binsearch…), ainsi que des sites web qui référencent le contenu du réseau Usenet.
Les fichiers binaires déposés sur les newsgroups étant découpés en plusieurs parties (multi-parties), il faut les ré assembler une fois tous les téléchargements terminés. Des logiciels sont apparus afin de faciliter et d’accélérer le téléchargement mais aussi de l’interrompre pour le reprendre plus tard.
Ces serveurs offrent une durée de rétention conséquente, atteignant chez certains plus de 800 jours, pour une tarification allant de 3,99$ par mois à plus de 30$, selon le nombre de connexions simultanées autorisées ou le volume téléchargeable mensuel autorisé (voire les deux chez certains). Les serveurs de news offrent, à de rares exceptions près, un anonymat complet par connexion SSL sur les transferts de l’usager, quand ce n’est pas purement et simplement un VPN qui est proposé gratuitement dans l’offre (Giganews).
Quelques chiffres
Voici quelques chiffres montrant l’augmentation spectaculaire de la quantité de fichiers qui transitent sur les newsgroups:
- janvier 1998: 12 Go
- janvier 2003: 492 Go
- janvier 2008: 3.07 To
- septembre 2010: 8 To
(source – les données au quotidien)
On le voit, l’utilisation des newsgroups binaires ne cesse de croître, ce qui associé à l’anonymisation et au cryptage des données ne va pas sans soulever des questions quant à la Réponse graduée et à son action vis à vis des internautes contrefacteurs sévissant sur les newsgroups.
Quand un nouvel article est créé sur un newsgroup, modifiant ainsi l’arborescence de ce dernier, un message de contrôle est généré: libre à l’administrateur du serveur d’accepter ou d’ignorer celui-ci. Enusite quand cet article contient des fichiers binaires, il ne peut être accepté que sur des groupes spécifiques, ce qui permet (en principe) aux administrateurs d’accepter ou refuser de les distribuer.
Les FAI
Au regard de l’ampleur de l’échange de fichiers illégaux sur certains newsgroups, Free, sur ordre du juge judiciaire, a bloqué l’accès à certains newsgroups binaires, aux noms explicites et trop ouvertement consacrés à la contrefaçon numérique. En effet, le 6 septembre 2007, le FAI a bloqué l’accès à ses abonnés à 14 newsgroups binaires pendant une durée de 30 jours, dédiés principalement au téléchargement illégal de films et de séries TV. En avril 2008, toujours sur ordre du tribunal, Free a dû bloquer l’accès à 39 newsgroups binaires spécialisés dans le téléchargement illégal de musique et ce, pour une durée de 6 mois et le 6 juin 2008, le FAI a fermé 10 autres newsgroups binaires consacrés au téléchargement illégal de séries et de films, jusqu’à nouvel ordre.
Cependant, il est important de préciser qu’un FAI ne peut engager sa responsabilité à raison des contenus publiés sur un réseau de communications électroniques que sous certaines conditions :
- soit il est à l’origine de la demande de transmission litigieuse ;
- soit il sélectionne le destinataire de la transmission ;
- soit il sélectionne ou modifie les contenus faisant l’objet de la transmission.
L’article 6-I-7 de la LCEN précise en outre que les FAI ne sont pas tenus d’effectuer une surveillance proactive des contenus qu’ils transmettent : « Les personnes mentionnées aux 1 et 2 (les FAI) ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu’elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. »
En avril 2005, un certain nombre d’ayants droit du Syndicat des Editions (SNE) avaient assigné Free et Illiad (groupe détenant Free) en contrefaçon. En effet, Free donnait accès à deux newsgroups qui mettaient à disposition plusieurs bandes dessinées contrefaites. Par une décision du 5 février 2008, le Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu un jugement en faveur des deux sociétés défenderesses : « ne fait que permettre à des internautes d’une part de poster des contributions binaires ou non et de les propager sur le système Usenet et d’autre part de prendre connaissance et de télécharger des fichiers binaires à partir de ce même système ». Le TGI a écarté les qualifications d’éditeur et d’hébergeur, en estimant que le FAI ne jouait qu’un rôle passif sur le réseau Usenet.
Toutefois, le blocage de l’accès à certains newsgroups est-il suffisant pour arrêter l’échange de fichiers illégaux sur ces forums ? L’efficacité du filtrage des newsgroups est en réalité restreinte dans la mesure où le serveur ne peut bloquer l’accès aux groupes de discussion uniquement à ses abonnés, et pour une durée en général limitée. En effet, les newsgroups bridés pendant une certaine période ont depuis rouvert. De plus, les contenus illégaux de ces groupes ne sont pas supprimés, les utilisateurs peuvent donc toujours passer par d’autres serveurs (comme Giganews) pour accéder à ces espaces de dialogue et d’échange. Enfin, il est probable que de nouveaux newsgroups binaires à caractère illégal se créent continuellement : bloquer l’accès à ces newsgroups n’empêche pas la création de nouveaux.
On attendra d’avoir les premiers résultats chiffrés de l’impact de la Réponse Graduée sur la contrefaçon numérique, mais il nous semble évident, et nous ne cessons de le répéter tout au long de ce dossier, que les mesures prises par la Hadopi « encourage » la migration des internautes contrefacteurs vers des solutions payantes et cryptées, rendant leur traque toujours plus difficile, voire impossible.
***
En janvier 2009, CoPeerRight Agency s’interrogeait déjà sur la future application de la Réponse graduée, et de son impact sur les pratiques de téléchargement des internautes en France.
Nous le savons, et l’avons déjà signalé dans ce dossier consacré à la Riposte graduée (Réponse Graduée), celle-ci focalise son action sur les réseaux Peer-to-peer, excluant de fait les newsgroups, pourtant pourvoyeurs d’un grand nombre de fichiers contrefaits.
En Europe, les actions entreprises à l’encontre des newsgroups ont été à l’initiative des ayants droit, qui ont concentré leurs attaques sur les sites qui indexent les fichiers binaires contrefaits sur Usenet. Ceux-ci se basent sur une jurisprudence désormais constante qui vise à sanctionner les agissements propices à faciliter le piratage : ce critère a été fixé il y a cinq ans par la Cour Suprême des Etats-Unis dans l’affaire Grokster, et reste admis aujourd’hui par l’ensemble des tribunaux dans le monde. Sont ainsi ciblés les sites suspectés d’inciter ses membres à pirater du contenu protégé par le droit d’auteur.
Au Royaume Uni, la justice se prononçait en mars dernier sur la légalité de Newzbin, site qui indexait les fichiers binaires. Si ce dernier rappelait ne pas héberger lui-même les contenus incriminés, les éléments évoqués ci-dessus ont permis au tribunal de condamner ses trois co-administrateurs, arguant que l’indexation, le découpage en rubriques thématiques et les titres explicites des œuvres ne laissaient pas de place au doute quant au fait que le site soit axé sur le piratage. Le site, qui a réalisé un chiffre d’affaires de plus d’un million de livres sterling en 2009 s’est mis en faillite peu de temps après le verdict du tribunal, refait surface trois mois plus tard sous le nom de Newzbin 2, sans que l’on sache si les administrateurs originaux en sont à l’origine.
En Allemagne, une décision similaire a été rendue en mars 2010 à l’encontre du site UseNext, trois ans après une première condamnation pour les mêmes motifs : diffusion d’une centaine d’oeuvres musicales gérées par le plaignant, la GEMA (société de gestion des droits d’auteur allemande), et publicité incitant à enfreindre les droits d’auteur.
Ces condamnations successives du site mettent en avant la particularité du protocole Usenet : il est techniquement impossible de mettre fin à la diffusion des fichiers contrefaits en s’attaquant à un fournisseur de newsgroups. Les contenus de tous les serveurs sont, on l’a vu, dupliqués automatiquement, de sorte qu’un contenu envoyé par un utilisateur sur un newsgroup par l’intermédiaire d’un serveur se retrouve rapidement propagé sur l’ensemble des autres serveurs.
Le pire c’est qu’en janvier 2009 on pouvait déjà lire :
http://www.contrefaconnumerique.fr/2009/01/06/les-newsgroups/
On pourra pas dire qu’ils étaient pas prévenus ! Et pourquoi cibler les échanges gratuits via le P2P ? pour permettre aux différentes offres payantes de fleurir sur le Net…
Y a pas à dire la meilleur concurrence au business du piratage cela restait bien les échange gratuits ! depuis même les vendeurs à la sauvette pullulent dans les rues de Paris… et leur plus grand concurrent cela restait le P2P…
Notre président ses conseillers c’est chez copeeright qu’il devrait aller les chercher ;D