Contrefaçon numérique : les Etats-Unis misent sur 2 solutions
Pour lutter contre le téléchargement illégal, les américains ont enclenché des actions à double vitesse, l’une attractive et l’autre offensive. Focus sur ces deux méthodes bien différentes.
Les Etats-Unis sont également touchés depuis plusieurs années par le phénomène de la contrefaçon numérique. Aussi, pour renforcer l’industrie musicale et cinématographique, les américains ont décidé de prendre les choses en main et de déployer des plans d’action pour tenter d’enrayer les téléchargements illégaux. Dans cette lutte contre la contrefaçon numérique, deux modèles différents ressortent : l’un aspire à améliorer l’offre légale afin de rendre la culture plus accessible et attractive pour l’ensemble des internautes, l’autre mise sur des méthodes plus offensives afin de dissuader les internautes contrefacteurs. Quels sont les partisans de chacun de ces modèles ? Sur quels fondements s’appuient les deux plans d’action envisagés ou déployés Outre Atlantique ?
CERTAINS MISENT SUR UN NOUVEAU MODÈLE ÉCONOMIQUE
Création d’un système similaire à la licence globale
Aujourd’hui, le concept de licence globale inquiète la majorité des ayants droit. Pourtant, aux Etats-Unis, l’idée d’un système très proche de la licence globale a germé et est actuellement en voie de concrétisation dans les universités américaines. L’idée prend sa source en mars 2008, lorsque Jim Griffin fut spécialement recruté par Warner Music Group (WMG) dans le but de réfléchir à un système similaire à la licence globale, qui permettrait à l’abonné de profiter de l’intégralité du catalogue de la major moyennant un paiement mensuel. Le PDG de WMG expliquait déjà il y a trois ans de cela que « Notre succès absolu ne se fera pas en empêchant les gens d’obtenir ce qu’ils veulent, mais en le leur fournissant de façon nouvelle et stimulante ». Jim Griffin, consultant dans l’industrie musicale, disposant d’un délai de 3 ans afin de façonner ce nouveau modèle économique, affirmait d’ailleurs clairement la couleur de ses intentions en annonçant alors : « Nous voulons rentabiliser l’anarchie d’Internet ».
Aussi, neuf mois plus tard, le « bébé » confié à Jim Griffin est né à l’annonce du projet d’un système très similaire à la licence globale, à expérimenter dans les universités des Etats-Unis. Selon un site Internet américain, les discussions avec les universités auraient débuté il y a de cela plusieurs mois. Warner Music Group a entrepris ainsi de faire le tour des universités américaines afin de leur proposer de tester son nouveau modèle (la première forme de système similaire à la licence globale), reposant sur l’idée d’offrir à tous les étudiants l’ensemble du catalogue de la major à télécharger en illimité et légalement, contre le paiement d’une redevance prélevée par le FAI du campus. Nombreuses sont les universités à avoir été séduites par le projet, pour ne citer en exemple que les universités de Columbia, de Chicago, de Stanford ou de Washington. Officiellement, ce modèle économique n’est pas considéré comme une licence de téléchargement, mais comme un engagement à ne pas porter plainte contre les étudiants qui téléchargent des œuvres musicales de la major.
Création d’une nouvelle société de perception et de répartition : CHORUSS
La collecte et la répartition de l’argent de la « redevance » seront assurées par une nouvelle société de perception et de répartition, Choruss, organisation à but non lucratif créée pour l’occasion. Warner Music Group déclare ainsi : « Nous avons créé une organisation non lucrative pour être clair sur le fait que nous souhaitons opérer avec de bonnes intentions et sans intention lucrative ». Et d’ajouter « les interprétations, la radio, la télévision, le câble, le satellite et les webradios sont tous financés par des licences légales ». C’est donc cette organisation qui aurait la charge de collecter les fonds et de les reverser aux labels membres en fonction des estimations de téléchargements fournies par l’université ou le FAI. Aussi, l’objectif de ce système est évidemment de réunir le maximum d’universités et mêmes des maisons de disques afin d’avoir une réelle dimension : « nous sommes en train de rassembler tous les droits (d’enregistrement et d’édition) des quatre majors du disque et des labels indépendants » précisait alors WMG. La major bénéficie par ailleurs du soutien d’organisations de défense des droits des internautes comme l’EFF (Electronic Frontier Foundation) ou Public Knowledge. Elle fait observer alors que « C’est une réelle trêve dans la guerre entre le contenu et le réseau. Ça relie les intérêts de toutes les personnes concernées, c’est gagnant-gagnant ».
Selon une source américaine, Choruss pourrait compter dans ses membres trois majors du disque américaines : Warner Music Group bien sûr mais aussi Sony BMG et EMI Group. A priori, Universal Music ne ferait pas, en tout cas pour le moment, partie de la nouvelle société de perception et de répartition des droits d’auteur. Pourtant, l’attractivité de Choruss a de quoi séduire. En effet, le paiement d’une redevance de l’ordre de 5 dollars par étudiants et par mois assurerait, selon les estimations, des revenus allant de 700 à 800 millions de dollars par an. Mieux encore, si ce système de redevance était étendu à tous les fournisseurs d’accès à Internet, c’est plusieurs milliards de dollars qui pourraient être redistribués aux artistes. Autrement dit, les vœux de Jim Griffin, lorsqu’il disait « Nous voulons rentabiliser l’anarchie d’Internet », pourraient effectivement se réaliser ! Par ailleurs, Choruss, association indépendante de la RIAA aurait l’ambition d’accueillir parmi ses membres des labels indépendants, qui pourraient alors profiter également de cette redistribution des fonds collectés. La Recording Industry Association of America (RIAA), avait annoncé le 19 décembre 2008 la décision d’abandonner les poursuites à l’encontre des internautes contrefacteurs au profit d’un système de « Riposte Graduée », selon le Wall Street Journal. En effet, depuis 2003, pas moins de 35 000 plaintes on été déposées par la RIAA, altérant de ce fait son image et sa crédibilité, à l’image de l’affaire Roy en 2007. En effet, l’organisation américaine a intenté un procès contre une femme prénommée Roy, l’accusant d’avoir téléchargé trois titres musicaux par le biais du logiciel P2P BearShare. Clamant son innocence, Roy a été contrainte toutefois de délivrer des informations sur sa famille, ce qui a permis de découvrir qu’elle avait deux enfants de 19 et 21 ans, potentiellement acteurs des agissements contrefacteurs présumés. Contrainte également de livrer son disque dur qui aurait pu apporter la preuve d’une culpabilité. Mais au lieu de cela, il s’est avéré que son disque dur avait non seulement été infecté de plusieurs virus au printemps 2007 mais qu’il avait en plus été remplacé par la suite. Une absence de preuve fatale aux accusations de la RIAA, le procès étant toujours en cours…
D’AUTRES PARIENT SUR DES ACTIONS PLUS RÉPRESSIVES ET OFFENSIVES
L’industrie musicale veut importer le mécanisme de « Riposte Graduée »
C’est pourquoi, la société de perception et de répartition des droits d’auteur envisage d’opter désormais pour un mécanisme de « Riposte Graduée », à l’image de la France, reposant sur la prévention puis la sanction en cas de récidives. Toutefois, contrairement à la France, un tel système ne serait pas mis en œuvre par le législateur mais par des accords entre la RIAA et les fournisseurs d’accès à Internet américains. Pour l’heure, aucun contrat n’a été signé et le Wall Street Journal ne se garde pas de s’interroger sur le fonctionnement de cette nouvelle stratégie et sur la méthode de collaboration avec les FAI : « it isn’t clear that the new that the new strategy will work or how effective the collaboration with the ISPs will be ». A priori, deux des plus gros Fournisseurs d’accès à Internet, à savoir AT&T et Comcast, pourraient faire partie des FAI qui collaboreront avec la RIAA. Mais en application, les FAI seront libres de choisir la sanction qu’ils souhaitent après les envois de notification aux internautes. A ce sujet, un porte parole de AT&T indiquait que la coupure de la connexion à internet n’était pas la sanction que le FAI choisirait : « while I’m not in position to comment on the RIAA annoucement, we believe that consumer education is a key component to enabling customers to find and use legal methods to acces the content they want. We have also consistently said that automatic cutoff of our customers is not something we would do ». Ce qui est certain, c’est que la riposte graduée aux Etats-Unis n’a pas encore été mise en place. Aussi, on peut s’interroger quant à certaines déclarations de la ministre de la culture lors de la première partie de l’examen du projet de loi « Création et Internet » à l’Assemblée Nationale le 12 et le 13 mars. En effet, lors de ces débats qui ont été retransmis en direct sur le site de l’Assemblée Nationale, on a pu entendre Christine Albanel affirmer que la Riposte Graduée était « déjà appliquée aux Etats-Unis » et que la contrefaçon numérique y avait « baissé de 90% chez les internautes concernés ». Déjà durant la Commission des Lois du 18 février, la ministre avait avancé cet argument, en déclarant : « Il serait faux de croire que le pari est perdu d’avance. On constate en effet que les téléchargements diminuent partout où un système d’avertissement ou de suspension des abonnements existe, notamment aux Etats-Unis ou en Nouvelle Zélande ». Pourtant, la Nouvelle Zélande n’avait prévu d’adopter la Section 92 de loi sur le Copyright que le 28 février suivant. Cette loi, prévoyant un mécanisme de prévention puis de coupure de la connexion à Internet en cas de récidives, a finalement été suspendue le 13 février par le premier ministre John Key, et ce jusqu’au 27 mars si aucun accord n’est trouvé entre les parties pour la mise en application du système.
Aussi, pour revenir sur la surprenante diminution du téléchargement illégal aux Etats-Unis, citée par Madame la Ministre, il serait opportun que de tels chiffres soient accompagnés de leurs sources. Car à l’heure actuelle, la seule information susceptible de correspondre à ces déclarations est issue d’un sondage IPSOS effectué auprès de la population américaine, révélant que 85 à 90 % des internautes américains arrêteraient de télécharger au bout du deuxième avertissement.
Il reste que la politique offensive de la RIAA qui consiste à porter plainte massivement contre les internautes contrefacteurs n’a pas été complètement abandonnée. En effet, selon un blog américain, la RIAA aurait lancé plus d’une dizaine de procédures au mois de décembre. Du reste, ces procédures judiciaires n’en demeurent pas moins extrêmement coûteuses pour la RIAA et donc pour les membres qu’elle représente, frais qui dépasseraient malheureusement les montants des dommages-intérêts demandés à l’issue de chaque procès. D’ailleurs, l’organisation américaine de défense de la liberté d’expression sur Internet, Electronic Frontier Fondation dénonce sur son site l’échec des procès menés par la RIAA à l’encontre des internautes contrefacteurs, qui en plus, ne permettent ni de diminuer la contrefaçon numérique, ni de rémunérer un seul artiste : « Ending the lawsuit campaign is long overdue. The campaign has been, by any measure, a failure. The lawsuits have not reduced unauthorized file-sharing and have not gotten a single artist paid ». L’organisation ne manque pas d’humour en qualifiant le système français de « Riposte Graduée » de « guillotine numérique française », rappelant également dans son article mis en ligne que ce système a été rejeté par le parlement européen et que la France constitue donc une « exception aberrante ».
L’industrie cinématographique en appelle à Barack Obama
La MPAA (Motion Picture Association of America) souhaite de son côté lutter contre la contrefaçon numérique par la voie législative. En effet, l’association américaine a transmis à l’équipe présidentielle le 8 décemble 2008 un document intitulé « MPAA’s key international trade issue » dans lequel elle liste les solutions à envisager pour contrecarrer ce phénomène. Parmi les mesures proposées à Barack Obama, la MPAA demande notamment de lutter contre la contrefaçon numérique par des accords interprofessionnels, des détections automatiques de contenus contrefaits sur les réseaux, des mesures de filtrage et cite en exemple les modèles français et anglais qu’elle considère efficaces : « MPAA views recent efforts by the Governments of France and United-Kingdom, to protect content on-line and facilitate inter-industry cooperation as useful models ». Toutefois, affirmer que la MPAA souhaite importer la Riposte Graduée française aux Etas-Unis paraît une conclusion trop hâtive puisque le document mis en ligne sur le site de Barack Obama, change.gov, ne mentionne nullement le terme de « Riposte Graduée », encore moins la suspension de l’accès à Internet. Les gouvernements français et anglais sont simplement « félicités » pour leur implication et leur engagement dans la lutte contre la contrefaçon numérique. A noter là encore que finalement, la Grande Bretagne a choisi de ne pas légiférer sur un système de Riposte Graduée qui aurait contraint les FAI à couper la connexion à Internet d’un internaute contrefacteur récidiviste après plusieurs avertissements. Aussi, Andy Burnham, le ministre de la culture confiait au Times que le gouvernement était confronté à un épineux problème juridique dans le fait de contraindre les Fai de couper l’accès Internet de leurs abonnés. Par ailleurs, David Lammy, ministre chargé de la propriété intellectuelle indiquait que le gouvernement avait rejeté le processus législatif pour forcer les FAI à suspendre la connexion à Internet : « the Governement had ruled out legislating to force ISPs to disconnect such users ». Il ajoutait que cette sanction impliquait de nombreuse problématiques juridiques et qu’il n’était pas sûr que cela puisse être possible : I’m not sure it’s actually going to be possible ».
Par ailleurs, la MPAA préconise également d’autres solutions pour lutter contre la contrefaçon de ses œuvres. Par exemple, elle suggère une régulation des reproductions physiques illégales de DVD par les gouvernements, « fighting optical disc piracy », qui sont notamment très présentes en Russie et en Chine où des usines sont destinées à cette activité illicite : « It is essential that governments regulate optical disc production as tool for controlling piracy ». Elle souhaite également lutter contre le camcording « fighting camcording », activité illégale très développée au Mexique où les cinémas sont souvent les cibles de spectateurs contrefacteurs qui filment directement l’écran géant à l’aide d’un caméscope pour ensuite diffuser le film contrefait sur les réseaux : « MPAA is increasing efforts to secure an anti-camcording statute in Mexico, where camcording has grown to crisis proportions ».
Toutefois, parmi ces mesures offesives contre le téléchargement illégal et ses utilisateurs, l’industrie audiovisuelle a surpris avec la plateforme de streaming hulu.com lancée en mars 2008, qui propose de visionner des films et autres œuvres audiovisuelles en streaming en échange de publicités insérées dans les titres. Hulu.com a signé des contrats avec la Fox et la NBC Universal pour exploiter une partie bien ciblée de leur catalogue, en contrepartie d’une rémunération qui leur sont versés à partir des bénéfices réalisées par la publicité. Autrement dit, c’est un modèle de publi-financement qui a été mis en place, système que l’on retrouve habituellement uniquement pour les œuvres musicales. La plateforme de streaming légal connaît un succès fulgurant outre Atlantique sur la base d’un modèle gratuit pour les internautes, démarche attractive et redoutable pour concurrencer le téléchargement gratuit illégal qu’il serait bon d’exporter hors des Etats-Unis…
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Les Etats-Unis ont été des pionniers dans l’utilisation d’Internet et des différents réseaux. L’ère numérique a été une seconde « ruée vers l’or ». Comme le disait Jean Berbineau lors du colloque organisé le 16 janvier 2009 à l’Assemblée Nationale, intitulé « Monde culturel et Internet : vers une réconciliation ? », « il y a une très grande confiance dans le devenir du modèle P2P en tant que mode de distribution, considéré comme une technique d’avenir de l’Internet aux USA ». Aussi, limiter ou contrecarrer cette innovation technologique est inconcevable au pays de l’Oncle Sam. C’est pourquoi les initiatives de la Warner ou de Hulu pour améliorer l’offre légale et créer un nouveau modèle économique sonnent comme une symphonie en accord avec l’esprit des internautes américains. Et à l’inverse, le possible filtrage évoqué par la MPAA au Président Barack Obama apparaît difficilement envisageable dans le paysage numérique américain. En tout état de cause, l’avantage de l’opposition entre ces deux concepts, s’ils sont mis en œuvre à grande échelle, permettra à plus ou moins long terme d’identifier le modèle le plus efficace pour relancer la consommation de biens culturels : amélioration de l’offre légale, lutte offensive contre la contrefaçon numérique ou bien les deux ?
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