Les péripéties de la loi « Création et Internet » partie 3
La réintroduction du manquement à l’obligation de sécuriser la connexion à Internet dans le nouveau projet de loi n’est pas passée inaperçue…
La Commission de la Culture, de l’Education et de la Communication du Sénat a été consultée en procédure accélérée le 1er juillet 2009 dans le cadre du projet de loi « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet », le Sénateur Michel Thiollière en ayant assuré le rôle de rapporteur. A cette occasion, des amendements à la portée significative sont venus modifier le texte du projet de loi ainsi que la loi « Création et Internet », déjà promulguée dans le code de la propriété intellectuelle depuis le 12 juin 2009. Ainsi, deux articles ont été principalement remaniés, l’article 1 et le l’article 3, ce dernier étant sans doute l’article ayant subi le plus de transformation avec la réintroduction du manquement à l’obligation de sécuriser l’accès à Internet. Cette Commission a été organisée pour préparer l’examen du nouveau projet de loi au Sénat à partir du 9 juillet 2009.
L’ARTICLE 1er RELATIF AUX AGENTS ASSERMENTÉS
Retrait de l’obligation de moralité et de respect des règles déontologiques
Le 1er article constituant le court projet de loi « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet » a été soumis à un léger remaniement, mais qui a néanmoins son importance. Parmi ces modifications, l’amendement sur l’article L.331-22 du Code de la propriété intellectuelle, crée par la loi « Création et Internet » est le changement le plus éloquent. Ainsi, le dernier alinéa de cet article précisant que « Les agents doivent en outre remplir les conditions de moralité et observer les règles déontologiques par décret en Conseil d’Etat », a été supprimé. CoPeerRight Agency s’interroge quant à la suppression de cette disposition qui avait pourtant son importance dans la mesure où toutes les infractions aux droits d’auteur sur Internet seront repérées et constatées par ces agents assermentés.
Pas de rattachement de tous les agents assermentés au sein de la HADOPI
En revanche, il aurait été sans doute préférable de rattacher tous les agents assermentés par le Ministère de la Culture des organismes professionnels (ALPA, SACEM…) à la Haute Autorité. En effet, dans un souci d’optimisation des résultats, d’organisation et de réduction de coûts supplémentaires, cette disposition aurait été souhaitable pour éviter par exemple le risque que des agents assermentés de deux organismes professionnels différents mènent leurs investigations sur un même site et donc constatent les mêmes infractions. L’objectif du gouvernement étant de rendre la HADOPI « efficace et irréprochable », le fait de rassembler au sein de cette même Haute Autorité tous les agents assermentés traitant des infraction sur Internet serait opportun et permettrait de surcroît de pouvoir superviser les actions mener de façon transversale (musique, jeux vidéo, cinéma, logiciel, ebook…) par les différentes équipes d’agents.
L’ARTICLE 3 RELATIF AUX SANCTIONS
L’internaute à la fois contrevenant et contrefacteur
L’article 3 constitue le cœur du projet de loi « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet », puisqu’il définie plus particulièrement les sanctions encourues par un internaute contrefacteur et/ou contrevenant. Ainsi, l’article 3 tel qu’il a été amendé par la Commission de la Culture, de l’Education et de la Communication du sénat crée un nouveau manquement, en plus du délit de contrefaçon.
L’article L.335-7-1 réintroduit le manquement à l’obligation de sécuriser sa ligne Internet, alors qu’initialement, tout laissait à penser que ce délit serait instauré par le biais d’un décret. Ainsi, cet article dit que « Pour les contraventions de la cinquième classe prévues par le présent code, lorsque le règlement le prévoit, la peine complémentaire définie à l’article L.335-7 [la coupure de la connexion à Internet] peut être prononcée selon les mêmes modalités en cas de négligence caractérisée, à l’encontre du titulaire de l’accès à un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques […] ». Les sanctions ne sont donc pas nouvelles, puisque l’internaute contrevenant sera sanctionné d’un mois de suspension de sa ligne et de 1500 euros d’amende (contravention de 5ème classe), comme dans la version initiale du projet de loi. Ce qui change en revanche, c’est le motif de ces sanctions qui devient, avec la Commission, le manquement à l’obligation de sécuriser la ligne Internet.
A ce sujet, CoPeerRight Agency revient sur la contravention de 5ème classe passable de 1500 euros d’amendes. Depuis 2004, CoPeerRight Agency préconise une amende à destination de l’internaute ayant téléchargé illégalement, mais sous la forme d’une transaction amiable, afin de compenser financièrement le préjudice subit par les ayants droit et d’éviter à l’internaute toute autre sanction. Or, il est regrettable que l’amende instaurée par le projet de loi ne constituera pas une nouvelle source de revenu pour la création.
Aussi, il est important de préciser que ce manquement suivi de ses sanctions ne remplacent le délit de contrefaçon, par lequel le juge puni l’internaute contrefacteur d’une suspension de connexion à Internet jusqu’à un an par une procédure d’ordonnance pénale définie à l’article L.335-7.
Enfin, à noter que ni le manquement de la sécurisation de la ligne, ni le délit de contrefaçon par ordonnance pénale ne viennent annuler le délit de contrefaçon de manière générale, prévu par les articles L.335-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle, punissable au pénal de sanction allant jusqu’à 300 000 euros d’amende et trois ans de prison. Au civil, les ayants droits pourront également demander des dommages-intérêts prévus par les articles 1382 et 1383 du Code civil.
Au final, l’internaute présumé coupable de téléchargement illégal ou de manquement à l’obligation de sécurisation de la ligne Internet pourra être à la fois contrefacteur (pour délit de contrefaçon) et contrevenant (dans le cadre de la contravention de 5ème classe) et pourra être puni d’une multitude de sanctions.
La riposte sera bien graduée
Par ailleurs, alors que le nouveau projet de loi, dans sa version initiale, ne faisait aucune référence aux messages d’avertissements, de sorte qu’il était possible d’imaginer un internaute sanctionné sans avoir été prévenu au préalable, la Commission est venue remédier à ce doute. En effet, l’article précise que l’internaute sanctionné par la peine complémentaire, c’est-à-dire la suspension de l’accès à Internet, sera « préalablement averti par la commission de protection des droits en application de l’article L.336-26, par voie d’une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date d’envoi de la recommandation ». Cette disposition révèle une volonté de la Commission de garantir le caractère gradué de la riposte en marquant noir sur blanc les envois de recommandations dans le nouveau projet de loi, alors que la loi « Création et Internet » dispose déjà de ce volet pédagogique précédent les sanctions. En revanche, aucune référence à l’envoie de courriers électroniques précédant l’envoi de la lettre en recommandé n’a été précisée, mais pas exclue non plus.
L’internaute contrefacteur en ordonnance pénale n’aura pas de casier judiciaire
Enfin, il a été rajouté également dans l’article 3, à la fin de l’article L.335-7 du Code de la Propriété Intellectuelle, que dans le cadre de la procédure pénale par ordonnance, « Les dispositions du 3° de l’article 777 du code de procédure pénale ne sont pas applicables à la peine complémentaire prévue par le présent article ». L’article 777 porte tout particulièrement sur le bulletin n°3 du casier judiciaire. En effet, un casier judiciaire comporte trois niveaux différents, dont le 3ème à trait précisément au « relevé des condamnations suivantes prononcées pour crime ou délit, lorsqu’elles ne sont pas exclues du bulletin n°2 ». Parmi ces « condamnations suivantes », figure le 3° de l’article 777 qui concerne spécialement les « Condamnations à des interdictions, déchéances ou incapacités prononcées sans sursis, en application des articles 131-6 à 131-11 du code pénal, pendant la durée des interdictions, déchéances ou incapacités ». En cas normal, la peine complémentaire, à savoir la suspension de la connexion à Internet, lorsqu’elle est prononcée par ordonnance pénale (et non dans le cadre de la contravention), devrait figurer dans le 3ème niveau du casier judiciaire, puisqu’il s’agit d’une interdiction rentrant dans le 3° de l’article 777. Or, en décidant de ne pas faire appliquer le 3° de l’article 777 du code de la procédure pénale à cette peine complémentaire, la Commission a supprimé l’inscription dans le casier judiciaire de l’internaute, de la sanction de suspension de la connexion à Internet. En revanche, pour le délit de contrefaçon puni des peines allant jusqu’à 300 000 euros d’amende et 3 ans de prison, le casier judiciaire sera bien entendu rempli…
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La Commission de la Culture, de l’Education et de la Communication est venue apporter un changement radical au projet de loi « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique », en réintroduisant à l’article 3 le manquement à l’obligation de sécuriser la ligne Internet. Toutefois, les logiciels de sécurisation de la ligne qui avaient été mentionnées dans la loi « Création et Internet » n’ont pas été ajoutés dans ce projet de loi par la Commission. Dès lors, comment l’internaute pourra-t-il veiller à sécuriser sa ligne sans outil de sécurisation fiable et efficace ? Comment pourra-t-il prouver sa bonne foi et démontrer que sa connexion à Internet a été l’objet d’une intrusion illégale ? Force est constater que la Commission du Sénat n’a pas apporter de réponses et de solutions à ces incertitudes. Par ailleurs, il est possible d’imaginer qu’en réintroduisant le manquement de la sécurisation de la ligne Internet, le projet de loi peut se risquer à une nouvelle censure des sages, à condition bien sûr que le Conseil Constitutionnel soit saisi. L’instauration du manquement par décret aurait certainement mis à l’abri le projet de loi d’une éventuelle censure, mais la Commission du Sénat a préféré jouer la carte de la transparence, ce qu’on ne peut lui reprocher. Enfin, il reste que le fait qu’un internaute pourra être condamné de délit de contrefaçon lorsque ce délit à été commis par le biais d’un service de communication au public en ligne ou de communication électronique est resté inchangé. En effet, il n’a pas semblé opportun pour la Commission du Sénat de modifier cet article, bien que les termes « communications électroniques » comprennent entre autre les mails. Cela signifie-t-il que le Sénat donne son feu vert à la surveillance par des sociétés privées des courriers électroniques de tous les internautes résidant sur le territoire français ? D’ailleurs, il est important de déplorer que tous les français ne seront pas sur un même pied d’égalité à l’égard du nouveau projet de loi puisque celui-ci ne s’applique pas aux français résidants en Polynésie française. En effet, les français de Polynésie accèdent à Internet par les FAI des Etats-Unis passant par des satellites. Malgré ces changements de grande ampleur, survenus lors de la Commission au Sénat, reste que de nouveaux amendements peuvent encore changer le visage du projet de loi lors de son examen au Sénat à partir du 9 juillet 2009 puis à l’Assemblée Nationale dès le 20 juillet.
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