La lutte contre la contrefaçon numérique en Europe
Doit-on envisager une harmonisation des politiques de lutte contre la contrefaçon numérique à l’échelle européenne ?
Avec le projet de loi « Création et Internet », la France souhaite donner un cadre national à la lutte contre la contrefaçon numérique. Pourtant, le monde entier est touché par ce phénomène : la plupart des industries culturelles accusent ce fléau qui tend à ternir le rayonnement de la création.
Actuellement, on observe chez certains Etats-membres de l’Union européenne une volonté de lutte comparable aux ambitions françaises. De nombreux pays ont mis en place ou étudient actuellement des moyens de faire baisser la contrefaçon numérique au sein de leurs frontières, à travers différentes méthodes. Mais, si le mécanisme de « Riposte Graduée » remporte un certain succès dans plusieurs pays du vieux continent, les mesures envisagées sont le plus souvent divergentes. Quelles sont les politiques de lutte contre la contrefaçon numérique dans les pays européens ? Quelles similitudes ou différences avec les mesures françaises peut-on relever ?
LES DIVERGENCES AU SEIN DE L’UNION EUROPEENNE
Le mécanisme de « Riposte Graduée » ne fait pas l’unanimité dans l’Union européenne. Certains pays se sont radicalement opposés à ce dispositif. D’autres ont préféré s’orienter vers des solutions très différentes. Le rapport du sénateur Michel Thiollière, relatif au projet de loi « Création et Internet », expose quelques uns des dispositifs de lutte contre la contrefaçon numérique dans d’autres pays du monde. Certaines informations sont reprises dans ce billet et sont consultables sur le site du Sénat.
Une protection des droits d’auteur inégale et variable
En Italie, 20 % des personnes téléchargent illégalement des films ou de la musique d’après le quotidien Repubblica paru le 29 août 2008. Face à l’ampleur de ce phénomène, véritable gouffre pour l’industrie culturelle, le gouvernement n’envisage pas de dispositif tel que la « Riposte Graduée » mais a renforcé les sanctions pénales avec l’introduction également de sanctions administratives. La loi Urbani prévoit un arsenal de peines plus ou moins lourdes en fonction de la gravité de l’acte de contrefaçon :
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jusqu’à 4 ans d’emprisonnement et 15 493 € d’amende pour les utilisateurs qui échangent des films ou de la musique via les réseaux en ligne ;
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sanction administrative : amende de 154 € ou de 1 032 € (en cas de récidive) pour les internautes qui mettent en ligne ou téléchargent, pour leur usage personnel, des copies contrefaites de films ;
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une peine d’emprisonnement de 3 mois à 6 ans pour les personnes faisant commerce ou tirant profit de cette activité illégale.
Parallèlement à ces sanctions destinées aux internautes contrefacteurs, le gouvernement italien pratique une politique répressive à l’égard des sites proposant des liens vers des fichiers contrefaits avec un dispositif de filtrage bloquant l’accès à certains sites comme The Pirate Bay et Colombo BT.
En Espagne, la contrefaçon numérique est pratiquée dans des proportions importantes. D’après une étude de l’Association européenne de publicité interactive, 58 % des internautes espagnols acquièrent illégalement de la musique et 52 % des films, alors que les moyennes européennes sont respectivement de 37 % et 20 %. De quoi alarmer au plus haut point les autorités espagnoles… Pourtant, la loi espagnole relative à la contrefaçon numérique peut sembler légère par rapport aux autres pays. En effet, seuls la copie et le téléchargement à des fins commerciales sont considérés comme un délit, et sont punis à ce titre par des peines pouvant aller jusqu’à 4 ans d’emprisonnement.
Aussi, les professionnels des secteurs de la culture ont pris le « taureau par les cornes » afin de sensibiliser le gouvernement et l’opinion publique. Dans cette optique, le « Plan d’action globale contre la piraterie » a été adopté en avril 2005. Par ailleurs, une loi de 2007 instaure une nouvelle obligation à l’égard des FAI : ils doivent informer leurs abonnés dans le but de les responsabiliser en matière de droits d’auteur.
En fin de compte, il semble que l’adoption d’une loi semblable au projet français ne soit pas envisagée dans l’immédiat. Pour l’heure, la péninsule ibérique semble se concentrer davantage sur les sites Internet illégaux que sur les internautes. En effet, entre 2006 et 2007, 30 sites Web ont été fermés et une action en justice visant à bloquer l’accès au site Sharemula est toujours en cours. Toutefois, actuellement, la justice espagnole revient sur certaines décisions de fermeture de site. C’est le cas pour le site TodoTorrente.com qui a rouvert ses portes, les demandeurs n’étant pas parvenus à convaincre le juge qu’il hébergeait du contenu contrefait, et non seulement des informations.
Enfin, on peut citer l’exemple de la Suède qui, pour sa part, a rejeté la solution consistant à couper l’accès à Internet aux contrefacteurs. Selon le gouvernement suédois, cela engendrerait « la mort sociale électronique ». En effet, jugeant la coupure de l’accès à Internet disproportionnée, les ministres de la Culture et de la Justice se sont expressément opposés à cette sanction.
Les obstacles en termes de données personnelles
Le traitement et la collecte des adresses IP sont des préalables nécessaires à toute poursuite des internautes. Pourtant, à cet égard, des différences notables se manifestent d’un pays européen à un autre et constituent autant de barrières qui se dressent sur le chemin vers l’harmonisation.
Par exemple, en Allemagne, la Cour de Munich a estimé dans une décision récente que les webmasters pouvaient stocker l’adresse IP de leurs visiteurs sans que cela ne viole la législation locale sur les données à caractère personnel. En effet, les juges ont expliqué que l’adresse IP, en elle-même, ne permettait pas aux administrateurs du site d’identifier les internautes. A contrario, il semble que l’adresse IP puisse être une donnée à caractère personnelle lorsqu’un tel rapprochement est possible, par exemple lorsque elle est entre les mains des FAI qui, eux, peuvent la relier à un individu sur ordre du juge.
Au Danemark, les juges considèrent que l’adresse IP n’est pas un élément suffisant pour prouver que l’internaute désigné est bien celui qui a commis l’acte de contrefaçon qui lui est reproché. En effet, plusieurs décisions récentes des juges danois compromettent l’application d’une loi semblable au projet français : la justice danoise a en effet déclaré, en septembre puis en octobre 2008, qu’une adresse IP ne permettait pas à elle seule de prouver l’identité de l’internaute contrefacteur : la personne ayant téléchargé n’est pas nécessairement celle qui est désignée par l’adresse IP.
Parfois, la communication des adresses IP peut être très longue. Aux Pays-Bas par exemple, il faut parfois attendre plusieurs années pour obtenir les coordonnées des internautes. Pour cette raison, le système de Riposte Graduée envisagé en France, qui repose sur la collecte d’adresses IP, ne pourrait avoir qu’une efficacité moindre s’il était mis en œuvre en Hollande.
En tout état de cause, les notions de droit d’auteur, de données personnelles ou encore de copie privée font l’objet d’acceptations variables d’un pays européen à l’autre. Pourtant, les différentes actions menées à l’échelle nationale au sein de l’Union européenne présentent aussi un certain nombre de dénominateurs communs.
VERS UNE HARMONISATION A L’ECHELLE EUROPEENNE ?
Les zones de convergence avec la France
Plusieurs pays européens envisagent ou ont d’ores et déjà mis en place un mécanisme de « Riposte Graduée ». Ces systèmes ont tous en commun la phase préventive avec envoi de messages d’avertissements. Là où se creusent les différences entre les Etats, c’est au niveau des sanctions infligées aux internautes récidivistes.
La Grande Bretagne est très touchée par la contrefaçon numérique : 19 téléchargements sur 20 sont illégaux et on estime à 6 à 7 millions le nombre de contrefacteurs. Pour mettre un terme aux mauvaises habitudes des internautes anglais, la Grande Bretagne envisage d’instaurer un système de « Riposte Graduée », visiblement proche de la solution française actuellement en projet. Un mécanisme en trois étapes ressortirait en particulier des discussions actuelles et comprendrait les phases suivantes :
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l’envoi de message de prévention aux internautes ;
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puis la suspension temporaire de l’accès à Internet ;
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et enfin, la résiliation de l’abonnement.
En parallèle, des accords ont été signés le 24 août 2008 entre les six principaux fournisseurs d’accès à Internet et l’industrie musicale et cinématographique. 1 000 messages de prévention devraient être envoyés chaque semaine aux internautes dont l’adresse IP aura été identifiée comme étant active dans le téléchargement illicite de musique ou de film. Pour la Grande Bretagne, l’envoi des messages répond à un double objectif :
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prévenir les internautes qu’ils ont été repérés et que leur compte est surveillé ;
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les informer de l’existence de sites de téléchargements légaux.
Par ce biais, le gouvernement britannique espère réduire de 80 % le téléchargement illégal dans les trois prochaines années. On peut d’ailleurs se demander si ce chiffre vise réellement la totalité du téléchargement illégal ou seulement la contrefaçon commise via les réseaux P2P…
Au Danemark, un projet de loi a récemment été présenté au gouvernement, visant lui aussi à mettre en œuvre un mécanisme de « Riposte Graduée » qui ressemble sensiblement à celui envisagé par les Britanniques. Un système en 3 phases, échelonné en fonction des récidives des internautes contrefacteurs, a été proposé : en premier lieu, les internautes contrefacteurs recevraient un message d’avertissement ; dans un second temps, leur bande passante serait restreinte ; enfin, leur accès à Internet serait coupé avec impossibilité pour l’internaute contrefacteur de se réabonner auprès d’un autre FAI.
Pour l’heure, les FAI danois sont farouchement opposés au projet de loi et mettent en avant le fait qu’une connexion WIFI peut facilement être détournée, rendant la détection du contrefacteur impossible. La sanction consistant à suspendre l’accès à Internet est jugée « disproportionnée » et le fait de résilier l’abonnement d’un internaute reviendrait pour les FAI danois, selon le journaliste du site Génération Nouvelles Technologies, à « se tirer une balle dans le pied ».
Mais les ambitions du gouvernement ne se heurtent pas seulement à l’opposition des FAI. En effet, ce sont également les récentes décisions de justice concernant la valeur probatoire de l’adresse IP qui compromettent l’application d’un tel projet de loi. Enfin, l’IFPI (Fédération Internationale de l’Industrie Phonographique) aurait récemment déclaré par la voix de son porte-parole danois qu’elle renonçait à l’adoption d’un mécanisme de « Riposte Graduée » au pays d’Andersen.
Les initiatives de la Commission européenne
La Commission européenne a présenté une communication sur les contenus créatifs en ligne dans le marché unique le 3 janvier 2008. Le texte vise à promouvoir l’offre légale ainsi qu’à sensibiliser le public sur l’importance des droits d’auteur par des démarches pédagogiques, en vue de lutter contre la contrefaçon numérique.
La Commission européenne a également pris plusieurs initiatives tendant à l’harmonisation des législations. Tout d’abord, elle a élaboré un Livre vert sur « le droit d’auteur dans l’économie et la connaissance ». Ce Livre vert a pour objectif d’instaurer un débat sur la façon dont la législation sur le droit d’auteur peut permettre la diffusion de la connaissance au profit de la recherche, de la science et de l’éducation, en particulier dans l’environnement numérique, et ce dans l’intérêt de tous, utilisateurs et ayants droit. Par ailleurs, la Commission européenne a émis une proposition de directive afin que la durée de protection des droits des artistes interprètes et exécutants soit portée à 95 ans, alors qu’elle est actuellement de 50 ans.
Ces exemples témoignent d’une réelle volonté européenne d’unifier les règles relatives à la propriété littéraire et artistique, ou tout du moins d’encourager les Etats-membres à adhérer à une philosophie commune en la matière.
Conclusion
Pour CoPeerRight Agency, il est nécessaire que les Etats-membres organisent la lutte contre la contrefaçon numérique au niveau européen, pour mieux s’adapter à ce phénomène qui ne connaît pas de frontières. C’est pourquoi il serait souhaitable que les Etats harmonisent leur législation, afin de se doter d’actions communes et similaires à l’échelle européenne. Par exemple, pourquoi ne pas créer une haute autorité européenne, sorte d’HADOPI, que tout ayant droit aurait la possibilité de saisir ?
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